L'ennuyeux Nicolas Sarkozy a levé une grande armée pour gagner la présidentielle. Une légion de communicants, sondeurs, rédacteurs travaille pour lui. Il ne faut pas passer à côté de la boulette de l'adversaire et essayer de trouver un maximum de slogans fumeux. La rupture tranquille, par exemple, c'est de la foudre intellectuelle Brice Hortefeux.
Que faut-il penser de cette technique, certes pas nouvelles, mais poussée à son maximum par le leader Minimo ?
Philippe Cohen, scénariste de la BD, La face Karchée de Sarkozy, analyse sa stratégie sans langue de bois :
Vous consacrez la dernière partie de votre « BD-enquête » à décrire la façon dont Nicolas Sarkozy a construit son image publique, avec le concours plus ou moins volontaire des médias. Quelle nouveauté politique en tirez-vous ?
Philippe Cohen : Nicolas Sarkozy a inversé le rapport classique entre la communication et l'action. Avant on communiquait pour expliquer son action. Pour Sarkozy, l'action se résume à la communication. La communication devient l'action politique, totalement détachée du réel. Agir, c'est montrer : montrer Sarkozy à Sangatte, Sarkozy à Ajaccio, Sarkozy à La Courneuve, Sarkozy à New York, puis Sarkozy au congrès de l'Union des organisations islamiques de France (UOIF). Quels ont été les résultats de ces soi-disant actions ? Pas grand chose : son bilan sur la sécurité est calamiteux, les Corses ont rejeté son référendum, les musulmans l'ont sifflé et j'ai l'impression que Bush a déjà oublié qui il était. En réalité, Nicolas Sarkozy a inventé ou plutôt adapté à notre pays une stratégie consistant à co-produire l'agenda médiatique.
Que voulez-vous dire par « co-produire » ?
Le candidat de l'UMP se met en permanence à la place des journalistes, au point de se demander lui-même quel est le sujet à proposer à la conférence de rédaction. Sarkozy s'efforce, semaine après semaine, d'avoir toujours de bonnes informations à proposer aux journalistes, de leur donner « du biscuit », comme on dit dans leur jargon. Il ne répète pas, comme souvent les hommes politiques par le passé, un prêchi-précha qui rase tout le monde. Il « file des infos », il est une machine à scoops. Voilà comment, par exemple, les médias ont été manipulés dans l'affaire Clearstream : les seules informations dont disposaient les journalistes d'investigation étaient celles dispensées par le cabinet Sarkozy.
Cela n'explique pas la proximité que vous lui prêtez avec les états-majors des rédactions…
J'y viens. À un deuxième niveau, Nicolas Sarkozy soigne les « décideurs », les « seigneurs » des médias, les rédacteurs en chef et les éditorialistes : voyez Jean-Pierre Elkabach, qui a aussi consulté son avis pour recruter le journaliste chargé de le suivre, et qui l'a laissé parlé vingt minutes de plus en 2005, lors d'une interview, ce qui a provoqué une protestation de Chirac. Ou encore Jean-Marie Colombani, auteur d'éditoriaux dithyrambiques sur lui. Mais aussi Franz-Olivier Giesbert, Karl Zéro, Christophe Barbier (L'Express), Jérôme Bellay (Europe 1), Nicolas Beytout, avec qui il partage une vision « lucide » de la société française (en gros, les Français sont des ploucs paresseux et arrogant) et un souci de l'audience qui les conduit à mettre Sarko à la une le plus souvent possible puisqu'il est le meilleur vecteur d'audience. Combien de « Unes » du Point sur Sarkozy en 2005 et 2006 : vingt, trente ? Sarkozy est le meilleur VRP de Sarkozy : quand il passe à la télévision, il se renseigne sur sa « performance » et la popularise auprès des « décideurs ». Il sait aussi « jouer des coudes » : avant une émission animée par Michel Field, il lui dit : « Si tu m'emmerdes trop, je dis ton salaire à l'antenne ! » Ou lorsque l'un des hiérarques du Figaro Magazine se défend de jouer Chirac contre lui, il lui rétorque : « Je sais que le Fig-Mag m'a dans le nez, Untel de la rédaction m'appelle après toutes les conférences de rédaction pour me dire ce qui s'est passé ! »
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