Le mode d'emploi de Nicolas Sarkozy : 2ème partie
Pied droit, pied gauche
Même si, au départ, l’enjeu fut l’extraction de cette bourgeoisie moyenne vers plus de panache, sa véritable quête fut celle de surmonter le handicap politique de n’avoir ni nom, ni fief, ni argent. Comment pallier ces infortunes ? La première pierre de la méthode Sarkozy est posée très tôt dans sa biographie de George Mandel. Se trouver un père politique et se rendre indispensable auprès de lui, comme Mandel le fit avec Clemenceau, a été longtemps un outil d’accession vers le pouvoir. Le 29 avril 1983, à la suite d’un coup de force contre Charles Pasqua, son mentor d’alors, il est élu maire de Neuilly : « je les ai tous niqués », se serait écrié le plus jeune maire de France. La méthode deviendra une habitude malgré son indéniable faculté à se rendre incontournable. En 1993, il se fait nommer ministre du Budget d’Edouard Balladur, entamant ainsi une longue rivalité avec Jacques Chirac, autre père adoptif et modèle. Malgré tout, il parvient à s’imposer à nouveau en 2002, lors de la réélection de Chirac. « Il possède une incroyable capacité à rebondir », commente Nicolas Doménach, rédacteur en chef de Marianne. Mais ce n’est pas uniquement dans cette implacable détermination à creuser son sillon qu’il faut chercher le succès de Sarkozy.
Selon une image qu’il a utilisée en privé, il faut, pour marcher correctement, aller sur ses deux pieds. Le droit et le gauche. Il a donc, notamment au cours de son action au gouvernement, lourdement assumé sa droite, ce qui dans le parti gaulliste ne va pas de soi. Décomplexé, il a rendu une fierté certaine à la droite et les militants lui en sont reconnaissants. Mais de manière plus surprenante, il a aussi assuré son pied gauche. Animé par l’obsession de ne pas se construire l’image d’un homme monolithique, il a pour seule règle de ne pas en avoir et foule sans complexe des terres habituellement fréquentées par la gauche. Certaines amitiés le montrent : l’historien et ex-conseiller de Mitterrand, Jean-Michel Gaillard, est un proche. Bernard- Henri Levy aussi. Nicolas Domenach, d’un hebdo qui a priori ne lui est pas favorable, ne cache pas son admiration pour ce « Shogun, ce seigneur de guerre ». A quoi peut bien servir un journaliste « de gauche » à un homme de droite ? « C’est un peu un agent double, répond le journaliste, capable d’offrir un retour critique. » Ce genre de proximité n’est pas seulement anecdotique, mais plutôt le fruit d’une option politique qui déstabilise ses adversaires.
« Démago » et « populiste »
Avec la suppression de la double peine, il a désarçonné l’opposition, la contournant sur sa propre gauche et prenant son camp à contre-pied. Le gagnant politique, Sarkozy. Même principe récemment sur le dossier des délocalisations, à l’Assemblée nationale : « Quand vous êtes un employé peu qualifié d’une PMI sous-traitante dans un bassin industriel vieillissant, vous êtes naturellement plus exposé qu’un cadre supérieur d’une grande compagnie d’assurances. » Dans la foulée, il dénonce « l’immobilisme », et « l’option ultralibérale qui est un véritable déni de réalité mais reposante pour les responsables politiques ». Sur les bancs de gauche on entend fuser des noms d’oiseaux : « démago ! », « populiste ! ». Dans les actes, le ministre de l’Economie dit se reconnaître dans le rapport Camdessus commandé par ses bons soins et rendu public mi-octobre. Il pourrait, selon lui, faire décoller la croissance. Au programme, affaiblissement du CDI et des droits des salariés, contournement du régime des heures sup’, relèvement, selon la CGT, des exonérations des obligations sociales pour les entreprises ou encore diminution des effectifs de la fonction publique. Les principales organisations syndicales dénoncent un recul sur le droit du travail. Il faut aussi retenir de son passage à Bercy de fort bonnes nouvelles fiscales pour les plus riches. Mais Sarkozy insiste : « Il n’y a qu’en France qu’on pense que je suis libéral », a-t-il déclaré lors d’un déplacement au Luxembourg.
L’anecdote rapportée par un journaliste allemand en dit long sur son talent de marionnettiste. Dans un avion qui vole vers une usine Alsthom, le ministre demande à un assistant de lui rappeler la situation de l’entreprise. Il écarte d’un revers de manche le rapport technique que l’énarque lui propose. Selon le journaliste le ministre a secoué la tête : « Ce n’est pas ce que je veux entendre. Décrivez-moi la situation d’Alsthom comme si votre père travaillait là-bas et qu’il soit inquiet pour son emploi. » Même si de l’avis général, c’est un bosseur acharné, « il n’est pas un homme de dossiers », avance Anita Hausser. Patrice Leclerc, conseiller général communiste des Hauts-de-Seine travaille avec Sarkozy, président du Conseil général. Et confirme : « Il s’en fout. Interrogé sur un dossier, il nous renvoie aux énarques qui l’entourent. Au final, c’est lui qui tranche. C’est un homme de symbole. » Conséquence, il ne s’exprime pas comme un technocrate, une des clés de sa différence.
Comment cet homme qui, depuis les cafés qu’il servait à la permanence de Neuilly, a toujours joué sa popularité sur le terrain, va-t-il s’y prendre pour conserver la main jusqu’à la lointaine échéance présidentielle ? Qui plus est à la tête d’un parti. Si l’on en croit un de ses proches à Bercy, il veut cultiver cette ubiquité travaillée sans relâche. Il va réfléchir à un projet politique, travailler aux préoccupations des Français et faire du terrain, explique-t-il en substance. Bref, poursuivre la course à la présidentielle. « L’Elysée est son objectif de chaque seconde », raconte Patrice Leclerc.
Nostalgique des flics
Mais comment continuer à draguer à gauche ? « A la tête de l’UMP, il va mécaniquement perdre en popularité, répond Stéphane Rozès. Etre au service d’un camp et, qui plus est, d’une formation politique n’est jamais gage de popularité. En outre le risque pour lui serait de se distinguer idéologiquement de Matignon et de l’Elysée par une posture libérale sur le plan économique alors que le pays ne l’est plus. Au sein même de la droite on est plus conservateur que libéral. » Le pronostic de Nicolas Domenach est un peu différent. « C’est un indocile et il va le montrer. Sa personnalité et son parcours le lui dictent. C’est un sacré défi et quand il en voit passer un, il le lui faut. » Il a effectivement déjà jeté les bases d’une forme de liberté vis-à-vis des usages. Les usages, Sarkozy les explique en préambule de sa profession de foi envoyée aux militants : « Bien évidemment, l’UMP doit soutenir le gouvernement et l’action du président de la République. » Mais il va au-delà. « Pour le faire avec efficacité, l’UMP doit être un espace de liberté, de créativité, d’ouverture », poursuit-il. On est prévenu. Les anecdotes spectaculaires ne manquent pas. Le 8 octobre dernier, à la sortie d’une rencontre avec le Medef, il se jette sur les flics : « A quel groupement appartenez-vous ? Avez-vous des problèmes ? Vous me manquez ! » lance-t-il à la manière d’un Jack Lang, ministre de la Culture perpétuel. Enfin, Nicolas Sarkozy va voyager. Quand il fait du tourisme, la France s’en souvient. C’est de New York qu’il est revenu avec la tolérance zéro dans ses bagages.
Rémy Douat
Regards
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