Avec Sarkozy le poids des mots, le choc des images !
Tout juste de retour au ministère de l’intérieur, Nicolas Sarkozy met le paquet pour s’assurer une médiatisation sur mesure. Certains pensent qu’il lui arrive de « péter les plombs ». Mais si au contraire le ministre de l’intérieur ne faisait que suivre un plan bien élaboré grâce à une complicité médiatique au dessus de tout soupçon…
De retour au ministère de l’intérieur, nommé au lendemain de la débâcle du OUI au référendum, Nicolas Sarkozy annonce la couleur : pour lui, il s’agit d’abord d’une affaire personnelle. Dans un silence médiatique bien ordonné, à quelques rares exceptions prés, il annonce ainsi son intention « d’en finir avec les officines qui ont pris ma famille pour cible » sans préciser davantage. Fonctionnaires des services de police, du ministère, des renseignements généraux, ou journalistes n’ont qu’à bien se tenir. Menace à peine voilée contre tout ce qui pourrait se mettre en travers de sa route, il « condamne l’égalitarisme, le nivellement et l’assistanat », exprime la nécessité d’une « remise en cause des acquis sociaux » au nom du fait que « la politique sociale ne peut se résumer à la seule question des exclus ».
Nulle voix dans la presse, à la radio ou la télé pour indiquer qu’entre son allée retour place Beauvau, 55% des français se sont prononcés le 29 mai contre une politique qu’il revendique précisément dans ses déclarations « sociales ».
Au poids des mots, il faut à Nicolas Sarkozy pour accéder à une stature de chef la force des images. Les télés convoquées à répétition répondent présent. Après les affrontements inter communautaires à Perpignan, les chaînes de télé, mais aussi les radios et les journaux se font l’écho de la visite expresse du ministre, loin du lieu du drame, loin des communautés meurtries, souvent premières victime d’une situation sociale catastrophique, frappées par un taux de chômage bien au dessus de la moyenne. Et Nicolas Sarkozy, filmé sous tous les angles dans les rues, affirmant à quelques commerçants qu’il était là « pour débarrasser la France des voyous » et pour leur promettre que « ce travail » sera exécuté « sans faiblesse »… A la Courneuve, quelques semaines plus tard, il indique son intention de « nettoyer au karcher » la cité des 4000. « On y mettra les effectifs nécessaires et le temps qu’il faudra mais ça sera nettoyé ». 200 policiers, incarnations de rambo, sont ainsi mobilisés pour inspecter les lieux du toit aux caves, le jour des obsèques du gamin de 11 ans assassiné, avec moult publicité. Sans aucun résultat, mais cela ne devait pas avoir suffisamment d’intérêt pour être vraiment souligné.
Enfin l’apothéose, lourde de sens, révélatrice d’une espèce de collusion entre l’oligarchie politique et le système médiatique, expression d’une menace directe contre le fonctionnement de notre Démocratie. « Le juge doit payer pour sa faute ! » clame Nicolas Sarkozy qui désigne ouvertement à la vindicte populaire le magistrat auquel il reproche d’avoir remis en liberté un des assassins présumés d’une jeune femme. Le ministre de l’intérieur, président de l’UMP, fait ainsi mine d’ignorer les faits sans que la presse écrite, radio ou télé ne coupent court immédiatement à des propos fantaisistes, mais efficaces, car rejetant de fait dans le camp honni par le plus grand nombre, notamment dans les couches populaires, tous ceux qui critiqueraient pour ce qu’elles sont les paroles sarkosiennes. Contrairement à ce que dit en effet Nicolas Sarkozy, la loi a totalement été respectée, les expertises psychiatriques correctement menées, favorables à une mise en liberté décidée non par un juge, mais par un collège de magistrats en 2003 sans qu’aucune voie de recours n’ait été utilisée pour s’y opposer. Et un grand quotidien du matin de titrer malgré cela « Le juge par qui le scandale est arrivé ! »…
Pour un autre quotidien, le ministre serait « populiste ». Mais il serait enfin temps de s’interroger. Le « populisme », défini dans le petit Larousse comme un « mouvement littéraire qui s’attache à la description de la vie et des sentiments des milieux populaires », loin de revêtir le contenu péjoratif qu’on voudrait bien lui accorder, ne devrait-il pas être le repère de tout journaliste respectueux des mouvements réels de la société qu’il s’agit de révéler et d’éclairer ?
D’autres encore réduisent les propos de Nicolas Sarkozy à quelques mouvements d’humeur d’un homme dont les dérives seraient le produit de « tensions familiales », ramenant le débat à celui qui pourrait se mener dans un loft de mauvaise qualité, un mauvais sitcom politique. Et faisant du ministre un être de chair et de sang, sensible, victime d’un dépit amoureux…
Tous en réalité légitiment les propos de Nicolas Sarkozy, parfois même derrière un ton critique. En réalité, ils se montrent complices d’une opération qui veut d’ores et déjà faire du ministre de l’intérieur l’homme incontournable pour 2007, le point de repère de toute discussion. Les médias dans leur traitement évitent en effet l’essentiel :
• En demandant des sanctions contre le juge, en interpellant le président de la République pour « savoir ce qu’il allait advenir du magistrat qui avait osé remettre un monstre pareil en liberté conditionnelle », Nicolas Sarkozy se présente en justicier qui pratique la confusion des pouvoirs et porte une atteinte fondamentale aux principes de notre démocratie en remettant en cause l’indépendance de la justice.
• Personne dans le monde politique comme dans le monde médiatique n’émet la seule conclusion qui s’imposerait dans le cadre du respect de nos institutions et des valeurs de la république : un ministre qui parle ainsi devrait sur le champ démissionner de ses fonctions. Les hommes politiques devraient l’y inviter, sans hésiter. La presse libre le rapporter, et à défaut, souligner cette défaillance politique généralisée.
• Enfin, concrètement, quid de la victoire du ministre de l’intérieur ? Car tout cela se termine en effet par une victoire de Nicolas Sarkozy. Après ses propos, Jacques Chirac lui-même annonçait en effet un durcissement de la loi, réformant la libération conditionnelle avec mise en place du bracelet électronique à l’américaine, limitant les réductions de peine, relevant le seuil à partir duquel un condamné à perpétuité peut demander une libération conditionnelle (aujourd’hui 15 ans sauf pour les peines incompressibles).
Au fait, dans la logique de remise en cause de la séparation des pouvoirs et du discours tenu par Nicolas Sarkozy contre « ces monstres remis en liberté », il existe une façon sûre d’éviter la récidive : l’enfermement à vie ou, faute de place, le rétablissement de la peine de mort…
Jacques Cotta - Vendredi 1er Juillet 2005